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Andr�� Durand pr��sente
‘’L’œuvre’’
(1886
roman d’Émile ZOLA
(350 pages)
pour lequel on trouve un
r��sum��
puis
successivement l’examen de :
la
gen��se (page 7)
l’int��r��t
de l’action (page 8)
l’int��r��t
litt��raire (page 8)
l’int��r��t
documentaire (page 9)
l’int��r��t
psychologique (page 13)
l’int��r��t
philosophique (page 14)
la
destin��e de l’œuvre (page 15)
les
��tudes de passages (pages 15, 16, 17, 19, 20)
Bonne lecture !
R��sum��
(la pagination est celle
du tome IV de la Pl��iade)
I
À Paris, en juillet
1862, le peintre Claude Lantier, l’un des fils de Gervaise (d��j��
vu dans “Le ventre de Paris”), un jour de pluie violente,
trouve en bas de chez lui une jeune fille venue de Clermont et perdue
dans Paris, qu’il convainc de se r��fugier chez lui. Au matin, d��couvrant
sa beaut��, «la figure qu’il avait inutilement cherch��e pour
son tableau» (page 19), il la saisit dans un dessin alors qu’elle
dort encore ; puis, �� son r��veil, la supplie de prendre la pose, apprend
son nom : Christine, mais doit la laisser partir.
II
Le lendemain, il reçoit
la visite de son ami d’enfance �� Plassans, l’��crivain Pierre Sandoz,
qui vient prendre la pose pour «un monsieur v��tu d’un simple
veston de velours» qui figurera dans son grand tableau intitul��
“Plein air” o�� «dans un trou de for��t [...]
une femme nue ��tait couch��e» tandis qu’«au fond, deux autres
petites femmes, une brune, une blonde,
��galement nues, luttaient en riant» (page 33). Ils ��changent
des souvenirs du coll��ge, de leurs escapades dans la campagne avec
leur camarade, Dubuche. Mais Claude, admirateur de Delacroix et de Courbet,
voulant «faire autre chose» mais reconnaissant : «Ah !
quoi? je ne sais pas au juste !» (page 45), est pr��occup�� par
son tableau, se remet �� la tâche qu’il ne peut abandonner m��me
quand, Dubuche, qui est ��tudiant en architecture, ��tant arriv��, ils
devraient aller prendre un repas. Il en vient �� consid��rer que «c’est
encore rat��» (page 53). Le p��re Malgras, un habile marchand de
tableaux, vient rôder pour obtenir �� bas prix «une petite esquise,
un coin de la campagne de Plassans». Claude s’acharnant sur sa
toile alors qu’il est ��puis�� commet «un meurtre v��ritable,
un ��crasement : tout disparut dans une bouillie fangeuse.» (page
57).
III
Le jeudi suivant, devant,
comme tous les jeudis, dîner chez Sandoz, il erre dans Paris en qu��te
de camarades, passant dans un atelier d’��tudiants en architecture
pour qui c’est un jour de «charrette», «une nuit de gros
travail» (page 60), puis chez le peintre Fagerolles qui est absent
et dont le p��re se montre tr��s froid, chez le sculpteur Mahoudeau
qui, disant travailler �� une «bacchante», se fait rabrouer
par Claude : «Une bacchante ! est-ce que tu te fiches de nous !
est-ce que ça existe, une bacchante.... Une vendangeuse, hein? et une
vendangeuse moderne, tonnerre de Dieu !» (page 67), son but ��tant
«la vie ! la vie ! la sentir et la rendre sans sa r��alit��, l’aimer
pour elle, y voir la seule beaut�� vraie,
��ternelle et changeante, ne pas voir l’id��e b��te de l’anoblir
en la châtrant, comprendre que les pr��tendues laideurs ne sont que
les saillies des caract��res et faire vivre, et faire des hommes, la
seule façon d’��tre Dieu !» (page 83). Survient Jory, qui est
mont�� de Plassans �� Paris pour faire de la litt��rature mais qui se
soucie surtout de femmes. Et ils partent tous pour un grand tour dans
la ville qui, de Montparnasse, les conduit au «caf�� Baudequin»
(page 75) aux Batignolles o�� ils effarent les bourgeois, puis les fait
revenir chez Sandoz pour le joyeux repas qui se poursuit jusque dans
la nuit. Vient leur rendre visite le grand peintre Bongrand qui avait,
avec sa “Noce au village”, «apport�� une formule nouvelle»
(page 87). Claude sort avec lui �� quatre heures du matin, press�� de
retrouver son tableau «comme on retourne chez une femme ador��e,
le coeur battant �� grands coups». (page 89).
IV
«Six semaines plus
tard», alors qu’il travaille �� «son grand tableau»
«en artiste combattu et obstin��» (page 89), il reçoit la
visite impromptue de Christine �� qui il d��plaît de voir que «cette
fille nue avait son visage» (page 92), qui est «bless��e par
l’emportement de la peinture, si rude,
qu’elle s’en trouvait violent��e, la chair meurtrie» (page
93). Aussi s’enfuit-elle, pour revenir cependant et de plus en plus
r��guli��rement. Elle lui raconte alors sa triste enfance �� Clermont
aupr��s d’un p��re infirme et d’une m��re cloîtr��e ; apr��s leur
mort, son passage dans un couvent car elle voulait devenir religieuse
; sa vie chez sa patronne, madame Vanzade, dans son hôtel de Passy.
Puis elle en vient �� mettre de l’ordre dans l’atelier. Enfin, ils
sortent ensemble dans l’île Saint-Louis puis plus loin, admirant
le paysage de la Seine, des ponts et des quais. Un jour, ils sont vus
par les amis de Claude ; un autre, ils sont surpris par la visite impromptue
de Jory et d’une femme pr��te �� se d��shabiller sur le champ pour
poser alors que Christine, confuse, est cach��e derri��re un paravent.
Mais elle en vient �� «��prouver de l’int��r��t pour ces toiles
abominables», «s’attendrissant de cette rage de travail,
de ce don absolu de tout un ��tre» (page 109). Mais, alors qu’expire
le d��lai pour l’envoi au Salon, Claude ne parvient pas �� terminer
la femme nue de son tableau. Christine, qui a compris son tourment,
pose de nouveau pour le visage ; puis le peintre se d��battant avec
diff��rents mod��les pour rendre le corps, elle accepte de se mettre
nue : «Jamais la chair de la femme ne l’avait gris�� de la sorte,
son coeur battait comme devant une nudit�� religieuse. […]
Pendant les trois heures, elle ne remua pas, elle ne souffla pas, faisant
le don de sa pudeur, sans un frisson, sans une g��ne.» Et ils sont
saisis d’«une tristesse infinie, inconsciente et innomm��e
[…] comme s’ils venaient de gâter leur existence, de toucher
le fond de la mis��re humaine.» (page 115)
V
Le 15 mai, Claude se
rend, avec Sandoz, au Salon des Refus��s que l’empereur a ordonn��
de faire tenir �� côt�� du Salon officiel au Palais de l’Industrie.
Lui, qui ��tait «d’une cr��dulit�� et d’une sensibilit�� de
femme, au milieu de ses rudesses r��volutionnaires, s’attendant toujours
au martyre, et toujours saignant, toujours stup��fait d’��tre repouss��
et raill��» (page 120), entend d’abord, devant d’autres tableaux,
des «ignorants qui jugent de la peinture, exprimant la somme d’âneries,
de r��flexions saugrenues, de ricanements stupides et mauvais, que la
vue d’une oeuvre originale peut tirer
�� l’imb��cillit�� bourgeoise» (page 128), et constate am��rement
que c’est devant “Plein air”, dont il reconnaît bien les
d��fauts, qu’est suscit��e l’hilarit�� la plus b��te et la plus
m��chante. Mais, «dans le d��sastre de ses illusions, dans la douleur
vive de son orgueil, un souffle de courage, une bouff��e de sant�� et
d’enfance, lui vinrent de toute cette peinture si gaiement brave,
montant �� l’assaut de l’antique routine, avec une passion si d��sordonn��e.
Il en ��tait consol�� et raffermi,
sans remords, sans contrition, pouss�� au contraire
�� heurter le public davantage.» (page 130). Cependant, ses camarades
et lui se jettent encore dans «un flot montant de th��ories, une
griserie d’opinions extr��mes», en proie �� «toute la passion
de l’art dont brûlait leur jeunesse» (page 135), et Claude en
vient �� accepter l’appellation «��cole du plein air» (page
136). Retourn�� chez lui, il y trouve Christine qui, ��tant all��e au
Salon, a ��t�� offusqu��e : «c’��tait sur sa nudit��
que crachaient les gens» ; mais, bientôt, elle «ne songeait
qu’�� lui, boulevers��e par l’id��e du chagrin qu’il devait avoir»
(page 140) et elle lui avoue son amour.
VI
Le lendemain, ��tant
all��s �� Bennecourt, petit village au bord de la Seine, ils se voient
proposer une maison, et, comme, de retour �� Paris, ils ont du mal ��
se retrouver ensemble, qu’elle est lasse de sa vie chez sa patronne,
ils d��cident de l’acheter : il «aspirait
�� ce grand repos de la bonne nature ; et il aurait l��-bas le vrai
plein air, il travaillerait dans l’herbe jusqu’au cou, il rapporterait
des chefs-d’œuvre.» (page 145). Mais ils se livrent plutôt
�� «des flâneries sans fin» (page 146), canotent sur la Seine,
jardinent. Il ne fait que «quelques tentatives de travail»
(page 147) car «aujourd’hui, Christine seule existait», et
«s’��vanouissaient ses volont��s d’artiste» (page 147).
Or elle est enceinte et donne naissance �� un garçon. «Claude se
remit un peu �� peindre» (page 153), passant des paysages �� Christine
et �� l’enfant, Jacques. Un jour, il tombe sur Dubuche, l’architecte
qui se rend dans la magnifique demeure du p��re Margaillan, un ancien
maçon qui s’est enrichi en devenant entrepreneur en bâtiment. De
ce fait, un autre jour survient Sandoz qui l’incite �� ��pouser Christine
; il va lui-m��me se marier, travaille dans un journal en attendant
de se consacrer �� une grande œuvre o�� il veut «��tudier l’homme
tel qu’il est, non plus leur pantin m��taphysique, mais l’homme
physiologique, d��termin�� par le milieu, agissant sous le jeu de tous
ses organes» (page 161), faire naître «la
litt��rature qui va germer pour le prochain si��cle de science et de
d��mocratie» (page 162) : «Je vais prendre une famille et j’en
��tudierai les membres, un par un, d’o�� ils viennent, o�� ils vont,
comment ils r��agissent les uns sur les autres […] je mettrai
mes bonshommes dans une p��riode historique d��termin��e, ce qui me
donnera le milieu et les circonstances» (page 162). Christine,
constatant que Claude s’ennuie, qu’il tombe «dans des tristesses
noires» (page 163), qu’il se soucie �� nouveau de ses amis, se
gaussant de ce que Dubuche ��pouse la fille de Margaillan, qu’il sent
que «Paris l’appelait �� l’horizon
[…] Il y entendait le grand effort des camarades, il y rentrait
pour qu’on ne triomphât pas sans lui, pour redevenir le chef»,
que pourtant «il s’obstinait
�� refuser d’y aller, par une contradiction involontaire qui
montait du fond de ses entrailles», le contraint �� partir alors
qu’«elle serait volontiers rest��e !» (page 168).
VII
De retour �� Paris, Claude
retrouve ses amis : Mahoudeau et Chaîne qui v��g��tent et ne se parlent
m��me plus ; Jory, le journaliste toujours aussi obs��d�� des femmes
et qui l’emm��ne chez Irma B��cot, courtisane qui a fait fortune ;
le vieux maître Bongrand qui a encore besoin des encouragements de
ses cadets et refuse de vendre la toile sur laquelle il travaille au
nouveau marchand de tableaux en vogue, Naudet. Surtout, il se rend au
dîner qu’offre Sandoz le jeudi dans sa nouvelle maison o�� il vit
avec sa femme, Henriette, et sa m��re. Autour du romancier «aussi
ent��t�� dans ses habitudes de cœur
que dans ses habitudes de travail» (page 193), les autres ont chang��,
surtout Fagerolles qui jouit d’un succ��s dû �� l’affadissement
de sa peinture. Aussi souhaitent-ils que Claude, «avec ses dons
de grand peintre, sa poigne solide», devienne le chef de l’��cole
du plein air ; et il se dit : «Quelle place
�� prendre ! dompter la foule, ouvrir un si��cle, cr��er un art !»
(page 197)
VIII
Claude, install�� avec
Christine et le petit Jacques rue de Douai, est anim�� d’«un enthousiasme
et une ambition �� d��sirer tout voir, tout faire, tout conqu��rir.»
(page 203), a la t��te pleine de projets. Mais, trois ann��es de suite,
s’obstinant �� «peindre sur nature» (page 204), il voit ses
toiles refus��es au Salon : «une fillette et un voyou en loques,
qui d��voraient des pommes vol��es» sur un fond de neige (page
204) ; «un bout du square des Batignolles en mai» (page 205)
; «un coin de la place du Carrousel,
�� une heure, lorsque l’astre tape» (page 206). Il ne renonce
cependant pas, fascin�� par le «perp��tuel mirage qui fouette le
courage des damn��s de l’art» (page 207). Christine le soutient,
v��ritable m��re pour «son grand enfant d’artiste» (page
208), au d��triment du petit Jacques. Au hasard d’une promenade en
fin d’apr��s-midi, Claude d��couvre, «derri��re la coupole de
l’Institut, un coucher ��blouissant tel qu’ils n’en avaient pas
eu de plus beau, une descente au milieu de petits nuages, qui se chang��rent
en un treillis de pourpre dont toutes les mailles lâchaient des flots
d’or.» (pages 211-212). Et il est d��sormais obs��d�� par cette
vision, en proie au «travail sourd d’une germination» (page
214). Mais la mis��re contraint Christine �� engager sa robe de soie
au Mont-de-Pi��t��. Ému, Claude a l’id��e de l’��pouser. Mais,
juste avant le mariage, ��tant all�� chercher un de leurs t��moins,
Mahoudeau, il assiste �� la chute d’une grande «Baigneuse»
que le sculpteur, trop pauvre, n’avait pu armer de fer ; aussi, au
cours du repas de noces, n’est-il question que de cette catastrophe.
Et, au retour �� l’atelier, Claude s’absorbant encore dans ses croquis,
devenant «une vraie brute, quand il
��tait au travail» (page 229), Christine se sent envahie d’«une
tristesse croissante, une grande douleur muette» (page 227) et,
entre eux, «cette formalit�� du mariage semblait avoir tu�� l’amour»
(page 230).
IX
Claude fait d’ «un ancien s��choir de teinturier» son atelier et, dans «sa fi��vre de travail et d’espoir», ne vit plus que pour son tableau, une toile «longue de huit m��tres, haute de cinq» (page 230). Mais il a alors besoin de retourner au pont des Saints-P��res pour s’assurer d’avoir fait le bon choix de l’heure pour sa vision de la Cit��, y passant ses journ��es, se passionnant pour le port Saint-Nicolas. Puis il commence sa grande œuvre, sortant «une ��bauche magistrale, une de ces ��bauches o�� le g��nie flambe, dans le chaos encore mal d��brouill�� des tons» (page 233). Mais il ne fait ensuite que la «gâter» : «C’��tait sa continuelle histoire, il se d��pensait d’un coup, en un ��lan magnifique ; puis, il n’arrivait pas �� faire sortir le reste, il ne savait pas finir.» (page 234). Il revient alors «�� de petites choses» retournant au port Saint-Nicolas, mais son tableau est refus�� par le jury et il le brûle. «Une autre ann��e se passa pour Claude �� des besognes vagues. […] Au fond la conscience tenace de son g��nie lui laissait un espoir indestructible, m��me pendant les plus longues crises d’abattement.» (page 235). Il reprend son grand tableau qui ��tonne Sandoz : au milieu de la Seine une grande barque porte trois baigneuses dont l’une est nue, «d’une nudit�� si ��clatante, qu’elle rayonnait comme un soleil.» (page 235). Le romancier, qui est le seul de ses anciens amis qui lui soit rest�� fid��le, se demande : «Comment un peintre moderne, qui se piquait de ne peindre que des r��alit��s, pouvait-il abâtardir une œuvre en y introduisant des imaginations pareilles?» (page 236).
Mais Christine et lui constatent alors qu’en quatre ann��es «sur les vingt mille francs, il en restait �� peine trois mille» (page 237). Ils quittent alors leur logement pour habiter dans l’atelier avec le petit Jacques qui, «malgr�� ses neuf ans sonn��s, ne poussait gu��re vite» (page 237). Christine travaille avec Claude, et, soucieuse de le reconqu��rir, plutôt que de le voir prendre un on��reux mod��le, elle pose pour lui, acceptant cependant avec r��ticence le rôle de «mannequin vivant» (page 240) car, jalouse, elle constate qu’il n’aime plus que la femme qu’il peint, qu’il cesse de lui parler. Mais «apr��s quelques semaines d’heureux travail, tout s’��tait gât��, il ne pouvait se sortir de sa grande figure de femme» et «une ann��e, deux ann��es s’��coul��rent, sans que le tableau aboutît, presque termin�� parfois, et le lendemain gratt��, enti��rement �� reprendre» : «Il se brisait �� cette besogne impossible de faire tenir toute la nature sur une toile.» Il est victime d’un «d��traquement h��r��ditaire» qui «au lieu de faire un grand homme, allait faire un fou». (page 245). Il en vient �� crever sa toile, �� se livrer �� «des travaux de commerce» (page 249) car maintenant il ne reste plus du tout d’argent, �� vagabonder pour, au passage, c��der �� une fantaisie d’Irma B��cot.
Mais, un jour, il retrouve «la femme couch��e de ‘’Plein air’’» (page 252), et il reprend ses pinceaux, faisant remarquer �� Christine : «Ton corps a ��t�� bigrement bien» (page 254), et lui ass��nant : «Ah ! vois-tu, quand on veut poser, il ne faut pas avoir d’enfant.» (page 255). Sandoz, fid��le �� sa «fraternit�� d’artiste», est venu un jour que Jacques est malade. Contemplant le tableau, il s’��tonne qu’il doive partir pour le Salon. Il ressent «un attendrissement douloureux» devant «cette faillite du g��nie» (page 257), cet « avortement superbe » (page 259). Il fait part de ses propres doutes de cr��ateur sur l’utilit�� de ce p��nible travail pour la post��rit��. Et, �� l’issue de cette conversation, Claude renonce �� envoyer son tableau.
Le lendemain, Jacques est mort. Claude en fait une ��tude, et d��cide : «Je vais envoyer ça au Salon.» (page 267)
X
Fagerolles, qui lui fait visiter son «petit hôtel» (page 268), preuve de sa r��ussite, et qui est candidat au jury, promet de faire recevoir son tableau �� Claude qui feint d’abord de se d��sint��resser de l’affaire, mais participe au vote : feront partie du jury, pr��sid�� par Mazel, «le dernier rempart de la convention ��l��gante et beurr��e» (page 274), Fagerolles et Bongrand. Mais ‘’L’enfant mort’’ est mal accueilli : «Et les jeunes blaguaient la grosse t��te, un singe crev�� d’avoir aval�� une courge, ��videmment ; et les vieux, effar��s, reculaient.» tandis que Claude est consid��r�� comme «un fou qui s’ent��tait depuis quinze ans, un orgueilleux qui posait pour le g��nie, qui avait parl�� de d��molir le Salon, sans jamais y envoyer une toile possible !» (page 278). Il est donc d’abord refus�� pour ��tre cependant rep��ch�� lors de «la r��vision g��n��rale» (page 279).
Le vernissage est couru par le Tout-Paris qui f��te Fagerolles dont le tableau, ‘’D��jeuner’’, est une pâle imitation de ‘’Plein air’’ o�� il a d��ploy�� «cette forfanterie d’audace […] qui bousculait juste assez la foule, pour la faire se pâmer. Une temp��te dans un pot de cr��me.» (page 286). Celui de Bongrand, ‘’L’enterrement au village’’, prouvait «la virilit�� de son d��clin» (page 288), mais ��tait «un retour inconscient, fatal, au romantisme tourment�� dont il ��tait parti» (page 289) que le marchand Naudet m��prise, lui qui n’est int��ress�� qu’�� satisfaire ses clients am��ricains. Claude, brûl�� d’une v��ritable fi��vre, a du mal �� trouver sa toile qui, si petite, a ��t�� plac��e tr��s haut, «��clatait f��rocement, dans une grimace douloureuse de monstre.» (page 293), n’��tait pas m��me regard��e et, quand elle l’��tait, ne recevait que des commentaires horrifi��s. Sandoz, le rejoignant, se souvient «des toiles immenses r��v��es, des projets �� faire ��clater le Louvre ; c’��tait une lutte incessante, un travail de dix heures par jour, un don entier de son ��tre. Et puis, quoi? apr��s vingt ann��es de cette passion, aboutir �� ça, �� cette pauvre chose sinistre, toute petite, inaperçue, d’une navrante m��lancolie dans son isolement de pestif��r��e !» (pages 295-296). Mais il console son ami, lui assure que, grâce �� lui, le Salon est «ensoleill��, d’une gaiet�� de printemps.» (page 296), que, bientôt «la grande nature entrerait, car la br��che ��tait large, l’assaut avait emport�� la routine, dans cette gaie bataille de t��m��rit�� et de jeunesse.» (page 297). Claude ne peut dominer « son tourment de pr��curseur qui s��me l’id��e sans r��colter la gloire » (page 297) tandis que «c’��tait Fagerolles, l��-haut, que l’haleine g��ante de Paris acclamait» (page 300), ce qui ne l’emp��che pas d’��tre repris de «cette sorte d’humilit�� invincible» devant «le maître inavou�� de sa jeunesse» «dont le muet d��dain suffisait en ce moment �� gâter son triomphe.»(page 301). Jory est l�� aussi, «heureux de vivre dans la joie ��goïste de se sentir gras et victorieux, en face de ce pauvre diable vaincu.» (page 302). Et survient Irma B��cot «dans son ��clat truqu�� de courtisane fauve» mais qui salue «ce mis��rable mal v��tu, laid et m��pris��» d’un «Sans rancune» plein de sous-entendus. (page 304). Quant �� Mahoudeau, il a pu finalement exposer sa «Baigneuse debout, mais rapetiss��e» (page 305).
Le soir, Christine trouve
Claude devant une fen��tre, «tellement pench��» (page 307)
qu’elle craint qu’il n’ait voulu se jeter par la fen��tre.
XI
«D��s le lendemain, Claude s’��tait remis au travail», «toutes ses heures disponibles ��tant de nouveau consacr��es �� sa grande toile» (page 308). Sandoz, qui a «devin�� en lui une cassure irr��parable», c��dant �� la demande de Christine qui voulait l’arracher �� son travail, l’emm��ne en des promenades. Ils d��couvrent ainsi Chaîne qui tient un stand forain o�� trônent ses trois tableaux qui sont ses chefs-d’œuvre, et qui «lâchait la partie, parce qu’elle ne nourrissait pas son homme» (page 311). Sandoz l’am��ne aussi �� Bennecourt chez Dubuche qui se morfond �� la Richaudi��re, ayant, aux yeux de son beau-p��re, ��chou�� dans ses projets d’architecte : «un d��sastre, une faillite lamentable, la banqueroute de l’École devant un maçon !» (page 313), et consacrant tous ses soins �� ses deux enfants malingres. Et, dans cette localit��, «il ne restait rien de lui, rien de Christine, rien de leur grand amour de jeunesse. […] Il l’avait bien senti qu’il n’aurait point dû revenir, car le pass�� n’��tait que le cimeti��re de nos illusions, on s’y brisait les pieds contre des tombes.» (page 319). «Cette campagne ingrate, ce Bennecourt tant ch��ri et oublieux, dans lequel ils n’avaient pas rencontr�� une pierre qui eût conserv�� leur souvenir, ��branlait en lui tous ses espoirs d’immortalit��.» (page 320). «Et dire que nous le savons, et que notre orgueil s’acharne !» conclut Sandoz. Une autre fois, ils tombent sur Gagni��re qui, lui, ne s’int��resse plus qu’�� la musique.
Sandoz, qui venait de publier un nouveau roman de cette s��rie qui ��tait «le grand travail de sa vie», qui soulevait une certaine «rumeur de succ��s» (page 324), convaincu que certains critiques n’accepteraient jamais sa «formule litt��raire», ses «bonshommes physiologiques ��voluant sous l’influence des milieux», organise «un de ses dîners du jeudi» (page 322). Y viennent Jory et Mathilde, qu’il a ��pous��e, le journaliste pr��tendant n’��tre pour rien dans «un article paru le matin m��me dans sa revue, qui maltraitait le roman» (page 326), Gagni��re, Mahoudeau. Dubuche et Fagerolles se sont excus��s, et la d��cadence de celui-ci fait que ses anciens amis «se soulag��rent en paroles mauvaises, se r��jouirent de la d��bâcle qui consternait le monde des jeunes maîtres.» (page 328). Claude, quant �� lui, est venu avec Christine mais demeure lointain, «les yeux larges et perdus, fix��s l��-bas, au loin dans le vide, sur quelque chose qui semblait l’appeler.» (page 324). Mais il surprend des propos o�� Mahoudeau et Gagni��re attribuent leur ��chec au fait qu’ils sont associ��s �� lui, «ce grand peintre rat��, cet impuissant incapable de mettre une figure debout, malgr�� son orgueil.» (page 333) qui, pour Jory, est «un grand toqu�� ridicule, qu’on enfermera un de ces quatre matins». Sandoz voit s’��vanouir «sa chim��re d’��ternelle amiti��» (page 334) «qui lui avait fait mettre le bonheur dans quelques amiti��s choisies d��s l’enfance, puis goût��es jusqu’�� l’extr��me vieillesse.» (page 337).
Au retour chez eux, Claude,
«�� minuit pass��», pr��tend �� Christine avoir �� faire une
«course» (page 338). Elle le suit alors qu’il descend vers
la Seine, le voit en contemplation devant l’île de la Cit��, «ce
cœur de Paris dont il emportait l’obsession partout» (page 339),
le sent travers�� par «la pens��e terrible» de «la douceur
de mourir» (page 340) �� laquelle il ne c��de pas.
XII
Cette nuit-l��, dans leur lit o�� il imposait «volontaire abstinence, chastet�� th��orique, o�� il devait aboutir pour donner �� la peinture toute sa virilit��», Christine ayant «la sensation d’un vide» (page 341) s’��veille, et d��couvre Claude travaillant �� son grand tableau, repris par «sa rage impuissante de cr��ation» alors que «plus il s’y acharnait, et plus l’incoh��rence augmentait» (page 342). Mais, cette fois, il retouche «la Femme nue», peignant «le ventre et les cuisses en visionnaire affol��, que le tourment du vrai jetait �� l’exaltation de l’irr��el ; et ces cuisses se doraient en colonnes de tabernacle, ce ventre devenait un astre, ��clatant de jaune et de rouge purs» (page 343). Aussi se r��volte-t-elle contre «l’assassine, qui a empoisonn�� [sa] vie», qui est sa vraie femme (page 344). Elle l’implore : «Si tu ne peux ��tre un grand peintre, la vie nous reste, ah ! la vie, la vie…[…] N’est-ce pas trop b��te de n’��tre que deux, de vieillir d��j��, et de nous torturer, de ne pas savoir nous faire du bonheur?», vitup��re «l’art, le Tout-puissant, le Dieu farouche qui nous foudroie et que tu honores» (page 345), lui reproche de «brûler pour des images, serrer dans ses bras le vide d’une illusion !» «Le d��sir l’exaltait, c’��tait un outrage que cette abstinence.» (page 346). Claude, comme r��veill��, en vient �� s’��tonner d’avoir peint «cette idole d’une religion inconnue» (page 347) qui «le liait de ses membres, de ses bras nus, de ses jambes nues.» (page 348), dans «une prise de possession, o�� elle semblait vouloir le faire sien.» (page 349). Ils se livrent alors �� l’amour avec une rage qu’ils n’avaient jamais connue. Mais, au matin, se r��veillant de nouveau seule, elle le retrouve dans l’atelier, «pendu �� la grande ��chelle, en face de son œuvre manqu��e» (page 352).
Christine, «ramass��e
mourante» (page 353), victime d’une fi��vre c��r��brale, ��tant
�� l’hôpital, Sandoz s’occupe de l’office fun��bre �� l’��glise
Saint-Pierre de Montmartre auquel seuls se pr��sentent Bongrand et Mahoudeau
et deux vagues parents de Claude. L’enterrement au cimeti��re de Saint-Ouen
est domin�� par les rugissements de trains. Pour Sandoz, Claude a ��t��
«ravag�� par cette l��sion trop
forte du g��nie», «victime d’une
��poque» qui «a tremp�� jusqu’au ventre dans le romantisme»
(page 357), n’a pas ��t�� capable de faire triompher «cette notation
nouvelle de la lumi��re, cette passion du vrai pouss��e jusqu’�� l’analyse
scientifique » (page 359), alors qu’on est impatient de voir s’imposer
«la conqu��te et l’explication de tout […] la science
ne nous a pas encore donn��, en cent ans, la certitude absolue, le bonheur
parfait» (page 360). Et il se reproche de «se r��signer
�� l’�� peu pr��s» de sentir ses «bouquins» «incomplets
et mensongers» (page 363), tandis que Claude «a
��t�� logique et brave. Il a avou�� son impuissance et il s’est tu��.»
(page 363).
Analyse
Gen��se
Depuis son intervention, en 1866, en faveur de la peinture de Manet, Zola avait eu l’id��e d’��crire un roman sur les milieux de la peinture. Dans ses premiers projets de 1868 pour les futurs “Rougon-Macquart”, il pr��voyait «un roman qui aurait pour cadre le monde artistique, qui aurait ��t�� un tableau de la fi��vre d’art de l’��poque», qui aurait d��gag�� le type du peintre maudit, le h��ros, Claude Dulac, ��tant «un autre enfant du milieu ouvrier». Pour pr��parer son roman, conform��ment �� son habitude, il consulta ses amis (l'architecte Jourdain, le peintre Guillemet), lut des ouvrages techniques, utilisa surtout ses souvenirs de critique d'art m��l�� �� la naissance de l'impressionnisme et de sa relation avec C��zanne.
Se plaçant dans la lign��e
du “Chef-d’oeuvre inconnu” de Balzac (1832), de “Manette
Salomon” des Goncourt (1867) et de sa propre nouvelle “Madame
Sourdis” (1880), il pensa successivement �� plusieurs titres :
“Le travail”, “L’��bauche”, “L’oeuvre
d’art”, “Le chef-d’oeuvre”, “Les couches du
si��cle”, “Cr��er”, “Le vrai”, “Fin
de si��cle”, “L’impossible”.
Int��r��t de l’action
Sujet : ‘’L’œuvre’’
est d’abord le roman du peintre. Mais c’est aussi le roman de l’artiste
quel que soit son art, de l’artiste maudit, Zola s'inscrivant en cr��ant
Claude Lantier dans une tradition illustr��e par Balzac (“Le chef-d'oeuvre
inconnu”), Nerval, Baudelaire, Verlaine, Van Gogh. Dans l'’’Ébauche’’,
il ��crivit : «Avec Claude Lantier, je veux peindre la lutte de
l'artiste contre la nature, l'effort de la cr��ation dans l'oeuvre d'art,
effort de sang et de larmes pour donner sa chair, faire de la vie :
toujours en bataille avec le vrai et toujours vaincu, la lutte contre
l'ange. En un mot, j'y raconterai ma vie enti��re de production, ce
perp��tuel accouchement si douloureux ; mais je grandirai le sujet par
le drame, par Claude qui ne se contente jamais, qui s'exasp��re de ne
pouvoir accoucher son g��nie et qui se tue
�� la fin devant son oeuvre irr��alis��e.» Aussi le roman est-il
autobiographique, non seulement par la figure de Sandoz qui s’oppose
�� celle de Claude. Dans une lettre �� C��ard, Zola confessa : «C'est
un roman o�� mes souvenirs et mon coeur ont d��bord��.» Il n'avait
jamais mis autant de lui-m��me que dans “L'oeuvre” qui est
bien une confession aussi douloureuse qu'authentique.
D��roulement : Le roman est divis�� en douze chapitres. Les chapitres I �� V sont marqu��s par les espoirs, l'id��al de Claude, phase euphorique qui se termine avec l'��chec de “Plein air “ au Salon des Refus��s. Le chapitre VI est la parenth��se de la retraite �� Bennecourt. Les chapitres VII, VIII, IX, X couvrent dix ann��es de lutte avec des alternances d'espoir, d'enthousiasme, de d��couragement, de d��ceptions, d'��checs. Les deux derniers chapitres d��crivent la descente aux enfers de Claude de plus en plus isol��, enferm�� dans son monde, proche de la folie, qui aboutit au suicide.
‘’L'œuvre’’
pr��sente le contraste de deux artistes partis en m��me temps dont l'un
rencontre le succ��s, Sandoz, et dont l'autre symbolise l'��chec, Claude.
Chronologie : Elle
est lin��aire si on excepte le retour en arri��re du chapitre II consacr��
�� l'enfance de Claude et de Pierre �� Plassans. Mais aucune date n’est
indiqu��e. Le seul ��v��nement historique ��voqu�� est la cr��ation
par l'empereur Napol��on III du Salon des Refus��s en 1863. Par d��duction,
on peut d��terminer que l’action commence en juillet 1862. Par
la suite, le roman est rythm�� par les trois jeudis chez Sandoz (chapitres
III-VII- XI) et par les Salons qui sont annuels, en particulier le Salon
officiel de 1876. Mais il est assez difficile de suivre l'��coulement
des ann��es. Un autre rep��re est donn�� par l'âge de Jacques. N��
en f��vrier 1864, il d��c��de �� douze ans, donc en 1876. Par cons��quent
le roman se d��roule sur une p��riode assez longue de quatorze ans et
Claude se suicide en 1876, �� l'âge de trente-six ans.
Zola utilisa le symbolisme
assez simple des saisons. Le roman commence en ��t�� sous le signe de
l'orage, pour le coup de foudre de l'amour de Claude et de Christine.
L'installation �� Bennecourt dans le nid d'amour a lieu au printemps.
Le d��m��nagement pour Paris intervient en automne, et le m��me paysage
de Bennecourt traduit alors l'ennui, les d��sillusions de Claude. Le
roman se termine, au cimeti��re, dans «la bise aigre de novembre».
Point de vue :
Zola a adopt�� la technique du narrateur omniscient qui, parfois, annonce
la suite des ��v��nements.
Int��r��t litt��raire
Le roman est marqu��
par de magnifiques descriptions o�� Zola lui-m��me se fait peintre.
Se d��tachent en particulier la beaut�� et la puissance des pages (100-105)
qui sont consacr��es �� la description de Paris : «Notre-Dame, colossale
et accroupie entre ses arcs-boutants, pareils
�� des pattes au repos, domin��e par la double t��te de ses tours, au-dessus
de sa longue ��chine de monstre» (page 101)
Int��r��t documentaire
Le roman offre un
tableau de Paris o�� l'action se d��roule essentiellement. Claude
(comme de nombreux peintres impressionnistes et comme Zola) est «un
artiste flâneur amoureux de Paris». Les paysages urbains privil��gi��s
et de nombreuses fois d��crits dans le roman sont les quais de la Seine,
l'île de la Cit��, l'île Saint-Louis et la butte Montmartre.
Le chapitre II ��voque
l'enfance et la jeunesse de Pierre Sandoz, de Claude Lantier et de Dubuche,
les trois amis ins��parables, qui s’est pass��e en Provence, �� Plassans.
C’est en r��alit�� Aix- en-Provence.
‘’L'œuvre’’ est surtout une enqu��te sur le monde des arts. Zola consacrant chaque tome des ‘’Rougon-Macquart’’ �� l'��tude d'un milieu, consacra celui-ci au milieu artistique entre 1860 et 1880. Pour ce faire, il s'est servi de ses souvenirs personnels parce qu'il a ��t�� �� la fois l'acteur et le t��moin privil��gi�� de cette r��volution artistique mais il a aussi r��uni dans ses carnets d'enqu��te une documentation abondante, surtout sur les techniques de la peinture et de la sculpture.
Il s’int��ressa au travail de l'artiste. À plusieurs reprises, il d��crit Claude au travail dans son atelier ou sur le motif. Zola a l'exp��rience des s��ances de pose car il a servi de mod��le �� ses amis peintres (voir son portrait par Manet).
Il est all�� en rep��rage sur les lieux privil��gi��s par les peintres de cette ��poque : les bords de Seine �� Bennecourt (auxquels C��zanne, Daubigny, Monet, ont consacr�� plusieurs toiles), Paris, l'île Saint-Louis, les quais de la Seine, la butte Montmartre (voir les nombreuses descriptions de Paris qui sont autant de tableaux impressionnistes).
Il d��crivit les Salons qui, chaque ann��e, constituent le temps fort de la saison artistique. Zola leur a consacr�� deux chapitres, le chapitre V qui est consacr�� au Salon des Refus��s cr���� par les peintres contestataires non admis au Salon officiel d��crit au chapitre X. Il y excella �� saisir les ambiances, les r��actions n��gatives ou enthousiastes du public, �� traduire les tendances nouvelles, �� mesurer l'��volution des mentalit��s.
Au Salon des Refus��s de 1863, est accroch�� le tableau ‘’Plein air’’ : «C'��tait comme une fen��tre brusquement ouverte dans la vieille cuisine au bitume, dans les jus recuits de la tradition, et le soleil entrait et les murs riaient de cette matin��e de printemps ! La note claire de son tableau, ce bleuissement dont on se moquait, ��clatait parmi les autres. N'��tait-ce pas l'aube attendue, un jour nouveau qui se levait pour l'art?»
En 1876, au Salon officiel, Fagerolles pr��sente avec succ��s ‘’Un d��jeuner’’, qui est simple plagiat du tableau de Claude. Les m��mes qui avaient hu�� celui-ci saluent avec enthousiasme le tableau de Fagerolles : «Deux grosses dames, la bouche ouverte bâillaient d'aise [...] Il y avait des ��merveillements b��ats, ��tonn��s, profonds, gais, aust��res, des sourires inconscients, des airs mourants de t��te. Alors Claude s'oublia, stupide devant ce triomphe.»
Le monde des artistes est divis�� sur la conception de l'art par une v��ritable querelle des Anciens et des Modernes. Les Anciens s'arcboutent sur la tradition, la mythologie �� la façon de la V��nus de Cabanel pr��f��r��e �� l'Olympia de Manet. «Des cadres d'or pleins d'ombre se succ��daient, des choses gourm��es et noires, des nudit��s d'atelier, toute la d��froque classique, l'histoire, le genre, le paysage, tremp��s ensemble dans le m��me cambouis de la convention.» Claude et ses amis au contraire veulent r��volutionner l'art et l'adapter �� leur ��poque : «Maintenant il faut autre chose [...] il faut peut-��tre le plein air, une peinture claire et jeune, notre peinture �� nous, la peinture que nos yeux d'aujourd'hui doivent faire et regarder.» Ce faisant, ils inventent l'impressionnisme.
De plus, il faut compter avec les rivalit��s et les jalousies personnelles, les succ��s parfois imm��rit��s des uns, les ��checs parfois injustes des autres, les plagiats. Cela donne lieu parfois �� des tractations sordides comme lorsque Fagerolles fait admettre Claude au Salon par charit��.
Zola fait d��couvrir
aussi le march�� de l'art car c’est �� cette ��poque qu’il devint
sp��culatif, et le vieux Malgras, amateur ��clair��, est ��vinc�� par
Naudet, le sp��culateur qui investit dans l'art non pour l'esth��tique
mais pour la plus-value esp��r��e : «Il ne s'agissait plus du vieux
jeu, de la redingote crasseuse et du goût si fin du p��re Malgras.
Non, le fameux Naudet [��tait] un sp��culateur, un boursier qui
se moquait radicalement de la peinture. Il apportait l'unique flair
du succ��s, il devinait l'artiste �� lancer, celui dont le talent menteur
allait faire prime sur le march�� bourgeois.»
On peut donc se demander si ‘’L’œuvre’’ est un roman �� cl��s, s’il n’y a pas un peintre r��el qui se cache sous Claude. Zola a emprunt�� des traits ou des ��pisodes isol��s �� la carri��re de plusieurs de ses amis peintres.
Celui auquel on pense d’embl��e est Paul C��zanne qui a pass�� son enfance �� Aix-en-Provence avec son ami, Zola. De façon semblable, Claude a pass�� son enfance �� Plassans o�� il ��tait li�� d'amiti�� avec Sandoz. Comme C��zanne et Zola, Claude connaît des ann��es difficiles �� Paris au d��but de sa carri��re. Les premi��res toiles de C��zanne furent, elles aussi, refus��es au Salon. Il n’a ��t�� reçu au Salon officiel qu’en 1882. Or Zola a port�� des jugements sur l'oeuvre de C��zanne qui se sont faits plus s��v��res au fil des ann��es. En 1877 : «Les toiles si fortes de ce peintre peuvent faire sourire les bourgeois, elles n'en indiquent pas moins les ��l��ments d'un tr��s grand peintre. Le jour o�� Paul C��zanne se poss��dera tout entier, il produira des oeuvres tout �� fait sup��rieures.» En 1880 : «M. C��zanne, un temp��rament de grand peintre qui se d��bat encore dans ses recherches de facture.» En 1896 : il distingua «les parties g��niales d'un grand peintre avort��». Aussi C��zanne, �� la lecture de “L'oeuvre”, s'est-il reconnu dans le personnage de Claude et n'a-t-il pas appr��ci�� d'��tre d��crit comme un g��nie avort��, un peintre impuissant. La publication du livre a terni une amiti�� de quarante ans entre Zola et C��zanne.
Mais le tableau “Plein air” de Claude dont voici la description : «C'��tait une toile de cinq m��tres sur trois... dans un trou de for��t, aux murs ��pais de verdure, tombait une ond��e de soleil ; seule, �� gauche, une all��e sombre s'enfonçait avec une tache de lumi��re, tr��s loin. L�� sur l'herbe, au milieu des v��g��tations de juin, une femme nue ��tait couch��e, un bras sous la t��te, enflant la gorge ; et elle souriait, sans regard, les paupi��res closes, dans la pluie d'or qui la baignait. Au fond, deux autres petites femmes, une brune, une blonde, ��galement nues luttaient en riant, d��tachaient, parmi les verts des feuilles, deux adorables notes de chair. Et, comme au premier plan, le peintre avait eu besoin d'une opposition noire, il s'��tait bonnement satisfait, en y asseyant un monsieur, v��tu d'un simple veston de velours...» (page 33) fait songer �� celui d’Édouard Manet, “Le d��jeuner sur l'herbe” qui fut montr�� au Salon des Refus��s de 1863, et fit un scandale �� celui que provoque la toile de Claude. Pour l’��vocation qu’il en fait, Zola s’est servi de ses propres souvenirs, ayant probablement visit�� le Salon des Refus��s en compagnie de C��zanne : «On ne comprenait pas, on trouvait cela insens��... voil�� la dame a trop chaud, tandis que le monsieur a mis sa veste de velours de peur d'un rhume... les chairs sont bleues, les arbres sont bleus, pour sûr qu'il l'a pass�� au bleu, son tableau ! Ceux qui ne riaient pas entraient en fureur : ce bleuissement, cette notation nouvelle de la lumi��re semblaient une insulte [...] “Plein air”, ce fut autour de lui une reprise formidable des cris, des hu��es... plein air, oh ! oui plein air, le ventre �� l'air, tout en l'air, tra la laire ! Cela tournait au scandale [...] la foule grossissant exprimant toute la somme d'âneries, de r��flexions saugrenues, de ricanements stupides et mauvais que la vue d'une oeuvre originale peut tirer �� l'imb��cillit�� bourgeoise.» (pages127-128). Si Zola l’amplifia dans de grandes proportions en accentuant le burlesque, il ne trahit pas la r��alit�� de l’accueil qui fut fait au ‘’D��jeuner sur l’herbe’’. Le premier motif du toll�� fut ces femmes nues aupr��s d’hommes en jaquettes. On raconte que l’imp��ratrice, en passant devant le tableau, d��tourna les yeux. On ne tol��rait les nymphes d��v��tues en peinture que dans les toiles �� sujets mythologiques ou all��goriques. Ici, la jaquette, la cravate, la canne et les chaussures de marche des compagnons de ces deux charmantes cr��atures dissipaient toute ��quivoque sur la libert�� de moeurs qui pr��sidait aux divertissements du quatuor. La facture n’��tait pas moins audacieuse. Sur une construction classique, se d��tachait un rendu authentique des chairs, mates, l��g��rement bronz��es comme dans la r��alit�� ; et, surtout, des notes ��clatantes de couleurs : les bleus lumineux, les indigos, les jaunes clairs, l’association des noirs et des gris d��tach��s �� l’emporte-pi��ce pour valoir l’un par l’autre, dans la transparence verte de la lumi��re verte des feuilles, sans rien qui en att��nuât la complexe harmonie. La peinture moderne naissait de cette d��sinvolture.
Les tableaux de Manet
et de quelques autres ont encore suscit��, aux Salons de 1865 et de
1866, que Zola a ��galement vus et comment��s, les m��mes r��actions
qu’en 1863. Les comptes rendus satiriques et les caricatures de la
petite presse exprimainent eux aussi, �� leur mani��re, l’incompr��hension
du public, avec des plaisanteries identiques �� celles que suscite ici
“Plein air”.
Zola a dit de Manet, qui a fait son portrait et l'illustration de “Nana”, qu’il ��tait «le coeur le plus net, celui qui a montr�� la personnalit�� la plus fine et la plus originale.»
Le romancier s’est inspir�� aussi de Claude Monet qui, comme Claude Lantier, fit des recherches sur les variations de la lumi��re, peignant des s��ries : “La cath��drale de Rouen”, “Les meules” et, plus tard, “Les nymph��as”, qui souffrit et persista dans un labeur forcen��. La derni��re toile de Claude peut faire penser aux “D��chargeurs de charbon” de Monet. Ont apport�� d’autres ��l��ments d’autres peintres de l’��cole d'Argenteuil : Pissaro (pour Zola, «un des trois ou quatre peintres de ce temps»), Fantin-Latour (Zola est pr��sent dans sa toile “Un atelier aux Batignolles”), Bazille, mais aussi Jonkind, Renoir, Gustave Moreau (qui aurait inspir��, dans la derni��re toile symboliste de Claude, «la troisi��me [femme], toute nue, �� la proue, d'une nudit�� si ��clatante qu'elle rayonnait comme un soleil.»)
Ces ��l��ments, Zola
les a concentr��s artificiellement pour cr��er une destin��e d��finie
depuis longtemps comme tragique, en conformit�� avec l’intention g��n��rale
de la s��rie des ‘’Rougon-Macquart’’. Ainsi, Claude est
un personnage composite inspir�� par des peintres r��els, mais qui demeure
un personnage de fiction.
Avec Claude, Zola fit
le portrait d'un de ces artistes maudits dont les exemples sont nombreux
(Baudelaire, Nerval, Verlaine, Van Gogh) et dont le talent n'a ��t��
reconnu qu'apr��s leur mort.
Le roman suit aussi l’��volution du romancier Pierre Sandoz, meilleur ami de Claude Lantier. Elle est directement calqu��e sur celle m��me de Zola. Il lui pr��ta ses traits, sa vie et ses id��es. D'apr��s le portrait de Zola �� vingt-deux ans peint par C��zanne, et la description physique de Sandoz : «un garçon de vingt-deux ans tr��s brun �� la t��te ronde et volontaire, au nez carr��, aux yeux doux dans un masque ��nergique, entour�� d'un collier de barbe naissante», on remarque une grande ressemblance physique entre eux.
De plus, leur vie sont pratiquement semblables. Ils sont tous deux originaires de Provence, Zola vient exactement d’Aix-en-Provence, alors que Sandoz vient de Plassans (ville imaginaire que Zola situe en Provence et qui ressemble beaucoup �� Aix). Ils partagent des souvenirs d'enfance, de leur fi��vre de litt��rature et d'art, de leur romantisme d’alors : «Et nos tendresses, en ce temps-l��, ��taient avant tout les po��tes [...] nous avions des livres dans nos poches [...] Victor Hugo r��gna sur nous [...] un de nous apporta un volume de Musset.» - «Sandoz avait toujours dans sa poche le livre d'un po��te.» Leur p��re est d��c��d�� dans leur jeunesse (Sandoz fut le fils d'un r��fugi�� espagnol qui ��tait �� la t��te d'une papeterie), laissant leur pauvre m��re dans une situation financi��re tr��s difficile : «Le p��re de Sandoz [...] ��tait mort [...] laissant �� sa veuve une situation si compliqu��e.» La vie fut difficile avec sa m��re �� Paris o�� il fut employ�� �� la mairie du Ve arrondissementeur m��re souffrit d'une paralysie lente : «La m��re de Sandoz [...] souffrant d'une paralysie lente», puis ne pouvant subvenir �� leurs besoins, ils sont, avec leur m��re, mont��s �� Paris afin d’y trouver du travail : «Elle s'��tait r��fugi��e avec son fils, qui la soutenait d'un maigre emploi», ce que fit ��galement Zola. Ensuite, Sandoz d��missionna de son maigre emploi pour entrer dans le journalisme, tout comme Zola : «Il s'��tait lanc�� dans le journalisme. Il y gagnait plus largement sa vie [...] Le journalisme n'est qu'un terrain de combat.» (chapitre VI). À la suite de cette augmentation de salaire, Zola quitta la rive gauche, comme Sandoz : «Il venait d'installer sa m��re dans une petite maison des Batignolles». La description de la maison de Sandoz est celle, tr��s exacte, de son petit pavillon rue de la Condamine. Il donna au chien de Sandoz le nom de son propre chien qu'il eut en 1870 : Bertrand. La m��re de Zola mourut en octobre 1880, et celle de Sandoz en 1875 �� l'automne ��galement. Puis il entra dans la carri��re litt��raire, mettant la m��me ardeur au travail que Zola dont la devise ��tait «Nulla dies sine linea» («Pas un jour sans une ligne»). La derni��re phrase du roman, prononc��e par Sandoz, est «Allons travailler.» Il a, comme Zola, la volont�� de renouveler la litt��rature : «Lui aussi se d��sesp��rait d'��tre n�� au confluent de Balzac et de Hugo». Zola fit m��me de Sandoz le porte-parole de son naturalisme : lui-m��me percevait la vie comme «un m��canisme et une somme d'��nergies, tandis que la mati��re s'emplit d'un souffle vital. Le r��sultat est un panth��isme g��n��ral fond�� sur une prise en consid��ration des forces de la vie et du mouvement», son personnage l'exprime ainsi : «Ah, que ce serait beau, si l'on donnait son existence enti��re �� une oeuvre, o�� l'on tâcherait de mettre les choses, les b��tes, les hommes, l'arche immense [...] bien sûr, c'est �� la science que doivent s'adresser les romanciers, elle est l'unique source possible.» Son projet de romancier est celui m��me de Zola : «Ah ! que ce serait beau si l'on donnait son existence enti��re �� son oeuvre, o�� l'on tâcherait de mettre les choses, les b��tes, les hommes, l'arche immense [...] le grand tout, sans haut ni bas, ni sale, ni propre. Bien sûr, c'est �� la science que doivent s'adresser les reomanciers et les po��tes.» Il veut «��tudier l'homme tel qu'il est non plus le pantin m��taphysique mais l'homme physiologique d��termin�� par le milieu. Il affirme : «La philosophie n'y est plus, la science n'y est plus, nous sommes des positivistes, des ��volutionnistes.» Son oeuvre sera, elle aussi, une saga en plusieurs romans : «Je vais prendre une famille, et j'en ��tudierai les membres, un �� un, d'o�� ils viennent, o�� ils vont [...] D'autre part, je mettrai mes bonshommes dans une p��riode historique d��termin��e ce qui me donnera le milieu et les circonstances [...] une s��rie de bouquins, quinze, vingt bouquins...» (chapitre VI), ce qui d��finit ��videmment ‘’Les Rougon-Macquart’’. Et, de m��me que, pour chacun de ses ouvrages, Zola se livra �� une enqu��te pr��paratoire, «Sandoz avait des notes �� chercher pour son roman». Comme Zola, il ne craint pas «les audaces de langage», a la conviction que «tout doit se dire, qu'il y a des mots abominables comme des fers rouges, qu'une langue s'est enrichie de ces bains de force et surtout l'acte sexuel. Qu'on se fâchât, il l'admettait ais��ment mais il aurait voulu qu'on lui fît l'honneur de comprendre et de se fâcher pour ses audaces non pour les salet��s imb��ciles qu'on lui pr��tait.» Il connut bien des inqui��tudes : «Si tu savais ! si je te disais dans quels d��sespoirs, au milieu de quels tourments ! moi que l'imperfection de mon oeuvre poursuit jusque dans le sommeil ! moi qui ne relis jamais mes pages de la veille de crainte de les trouver si ex��crables que je ne puisse trouver ensuite la force de travailler.» (chapitre VII) - «Eh bien moi, je m'accouche avec les fers [...] mon Dieu, que d'heures terribles d��s le jour o�� je commence un roman ! [...] le travail a pris mon existence, peu �� peu il m'a vol�� ma m��re, ma femme, tout ce que j'aime....» (chapitre IX). La publication de son premier roman fut l’occasion d’«un ��gorgement, un massacre, toute la critique hurlant �� ses trousses...» (chapitre VII). Mais une des th��ories de Zola ��tait que les cr��ateurs rencontrent au d��but de leur carri��re une forte r��sistance ; il pr��tendait que c'��tait une r��gle absolue, sans exception ; Sandoz la formule ainsi : «L’'insulte est saine, c'est une mâle ��cole que l'impopularit��, rien ne vaut, pour vous entretenir en souplesse et en force, la hu��e des imb��ciles.» Mais vinrent enfin les succ��s : «L'��crivain venait de publier un nouveau roman [...] il se faisait enfin autour de ce dernier, cette rumeur du succ��s qui consacre un homme...» (chapitre XI).
La ressemblance de Zola et de Sandoz tient aussi �� la pr��sence dans “L’oeuvre” de deux personnages qui repr��sentent des amis d’enfance : Claude Lantier, qui rappelle Paul C��zanne, et Dubuche, qui rappelle Baille. Apr��s l'��chec de “Plein air”, Claude «s'enfuit» �� Bennecourt, localit�� sur les bords de la Seine, facilement accessible en chemin de fer, o�� Zola fit lui-m��me plusieurs s��jours en 1866 avec C��zanne, o�� il loua une maison et o�� il revint tous les ans jusqu’en 1871 (et o�� il retourna peut-��tre pour la pr��paration de ‘’L’œuvre’’) et qui est proche d'Argenteuil, de Vernon, de Giverny, lieux fr��quent��s par de nombreux peintres impressionnistes en particulier de Claude Monet.
Zola avait bien pr��vu
mettre dans “L'oeuvre” : «Ma jeunesse au coll��ge et
dans les champs. Baille, C��zanne. Tous les souvenirs de coll��ge :
camarades, professeurs, quarantaine, amiti��s
�� trois. Dehors, chasses, baignades, promenades, lectures, familles
des amis. À Paris, nouveaux amis. Arriv��e de Baille et de C��zanne.
Nos r��unions du jeudi. Paris �� conqu��rir, promenades. Les mus��es.»
On peut s'��tonner que
le roman ne fasse aucune allusion aux ��v��nements historiques qui ont
eu lieu en 1870 : la guerre franco-prussienne, la Commune. Zola semble
r��pondre �� cette objection par cette remarque �� propos des artistes
: «Cela n'allait point sans un immense m��pris de ce qui n'��tait
pas leur art, le m��pris de la fortune, le m��pris du monde, le m��pris
de la politique surtout.»
Int��r��t psychologique
“L’oeuvre“
est le roman le plus autobiographique de Zola qui s’y est peint surtout
�� travers Sandoz mais aussi �� travers Claude.
Zola fit de Sandoz
un parfait ami qui soutient constamment Claude et qui reçoit le jeudi
ses amis artistes comme lui-m��me le faisait dans sa propri��t�� de
M��dan. Ses d��m��nagements successifs montrent son ascension sociale
et son embourgeoisement. D’abord, en juillet 1862, dans son
petit logement du quatri��me rue d'Enfer qui se composait d'une salle
�� manger, d'une chambre �� coucher et d'une ��troite cuisine, il reçut
Claude, Mahoudeau, Fagerolles, Gagni��re, Jory, Dubuche. Puis, en novembre
1866, aux Batignolles, rue Nollet, dans un petit pavillon ��gay�� d��j��
d'un commencement de bien-��tre et de luxe, il y avait, avec sa femme,
Henriette, Claude, Jory, Gagni��re, Mahoudeau, Dubuche, Fagerolles.
Enfin, en novembre 1876, dans son appartement de la rue de Londres o��
ils ont de vieux meubles, de vieilles tapisseries, des bibelots, des
lampes de vieux Delft, signes de son embourgeoisement apr��s les premiers
succ��s litt��raires, o�� il reçoit en jaquette, tandis qu’Henriette
porte une robe de satin noire, sont pr��sents Claude et Christine, Jory
et Mathilde, Mahoudeau, Gagni��re ; Fagerolles s’est excus�� ; Dubuche
est absent (�� cause de la maladie de sa fille) : on constate la pr��sence
des femmes, le lâchage de certains. Le menu ne montre aucun raffinement,
mais Zola lui a donn�� son goût pour la bonne ch��re. L’atmosph��re
est �� la gaiet��, �� la fraternit��, �� l’enthousiasme, aux espoirs.
Ils sont heureux d’��tre amis, de vivre de la m��me id��e, de marcher
au feu ensemble. Cependant, Claude sent quelque chose se rompre, ��prouve
un malaise : «Il les sentait chang��s [...] Aujourd'hui la
bataille commençait ; la fissure ��tait l��, la fente
�� peine visible qui avait f��l�� les vieilles amiti��s jur��es.»
Puis, sous les coups de l'��volution diff��rente de chacun, des r��ussites
et des ��checs, des rivalit��s, des jalousies, des trahisons, du heurt
entre le r��alisme et l'id��al, c’est la d��bandade : «C'��tait
le sauve-qui-peut, les derniers liens qui se rompaient dans la stupeur
de se voir tout d'un coup ��trangers, la vie les avait d��band��s
[...] Ah ! la bande lamentable, quel bilan
�� pleurer apr��s cette banqueroute du coeur.»
Par contraste avec Sandoz, Claude est un artiste �� la personnalit�� fragile, au temp��raments exacerb��. C’est qu’il est le fils de Gervaise et de Lantier, les alcooliques qu’on voit dans “L'assommoir”, le fr��re d'Étienne qu’on voit dans “Germinal” et de Jacques, l'assassin qu’on voit dans “La b��te humaine”, le demi-fr��re de Nana, la prostitu��e. Fils de Gervaise, il « gardait seulement au coeur la plaie secr��te de la d��ch��ance de sa m��re que des hommes mangeaient ou poussaient au ruisseau. » Il est marqu�� par son h��r��dit�� sur laquelle Zola insiste lourdement pour expliquer son comportement qui fait de lui un g��nie n��vros�� : « Il s'affolait davantage en s'irritant de cet inconnu h��r��ditaire qui parfois lui rendait la cr��ation heureuse et parfois l'ab��tissait de st��rilit��.» - « Sans doute il souffrait dans sa chair, ravag�� par cette l��sion trop forte du g��nie, trois grammes en plus ou trois grammes en moins, comme il disait, lorsqu'il accusait ses parents de l'avoir si drôlement bâti. » - «Le d��s��quilibre des nerfs dont il souffrait, le d��traquement h��r��ditaire qui pour quelques grammes de substance en plus ou en moins, au lieu de faire un grand homme allait faire un fou.» Du fait de cette h��r��dit��, son fils Jacques sera hydroc��phale.
Son temp��rament est sans cesse ��cartel�� entre le spleen et l'id��al. Sa sensibilit�� est exacerb��e : « De cette fi��vre chaude, il ��tait tomb�� dans un abominable d��sespoir, une semaine d'impuissance et de doute, toute une semaine de torture.... » Il connaît des acc��s de violence, lac��rent des toiles : « Quand la toile lui revint, il prit un couteau et la fendit » - « Le poing avait tap�� en plein dans la gorge de l'autre, un trou b��ant se creusait l��. Enfin, elle ��tait donc tu��e ! »
Il est un artiste et, selon Zola, l'artiste constitue un ��tre �� part au m��me titre que le pr��tre, la prostitu��e et l'assassin. Il est le vrai artiste pour qui l'art est une religion �� laquelle il a tout sacrifi�� : « Quand il s'agit de cette sacr��e peinture, j'��gorgerais p��re et m��re. » Perfectionniste, sa recherche du chef-d'oeuvre l'emp��che de terminer ses toiles : « Il ne savait pas finir ; son impuissance recommença. » La mort de son enfant lui fournit le sujet de son tableau, ‘’L'enfant mort’’, qui traduit son d��sespoir, son obsession de la mort. Le r��tr��cissement du cadre r��v��le son impression d'��touffer.
Il ne voit dans ses mod��les que la repr��sentation de la Beaut�� ; si, pour les besoins de son art, il fr��quente des mod��les aux moeurs assez libres (Irma B��cot), dans la vie priv��e, il est tr��s chaste et timide avec les femmes. Cependant, s’il est reconnu par ses pairs, il demeure incompris du public auquel il lance : « Ris donc, ris donc grande b��te jusqu'�� ce que tu tombes �� nos genoux. » et lui-m��me puisqu’il a d��clar�� : «Avec Claude, je veux peindre la lutte de l'artiste contre la nature, l'effort de la cr��ation dans l'oeuvre d'art, effort de sang et de larmes pour donner sa chair, faire de la vie. En un mot, j'y montrerai ma vie intime de production, ce perp��tuel accouchement si douloureux...» Il est «le pr��curseur qui s��me l'id��e sans r��colter la gloire.» Sandoz essaie de le r��conforter : «Regarde, tu devrais ��tre fier, car c'est toi le v��ritable triomphateur du salon cette ann��e. Il n'y a pas que Fagerolles qui te pille, tous maintenant t'imitent, tu les as r��volutionn��s depuis ton “Plein air” dont ils ont tant ri....Regarde ! en voil�� encore un de Plein air, en voil�� un autre, et ici et l��-bas, tous, tous !... l'art de demain sera le tien, tu les as tous faits. » Mais Claude r��torque : « Qu'est-ce que ça me fout de les avoir faits, si je ne me suis pas fait moi-m��me. »
Est-il un g��nie ou un fou? À cause de son temp��rament, ses amis qui, au d��but le consid��raient comme leur maître, finissent par le lâcher, le consid��rant « un fou qui s'ent��tait depuis quinze ans, un orgueilleux qui posait pour le g��nie, un rat��, un impuissant, un incapable, un grand toqu�� ridicule qu'on enfermera un de ces quatre matins. » Sa peinture traduit son drame personnel. Sa premi��re toile, ‘’Plein air’’, est une grande toile qui traduit son enthousiasme, son app��tit de vivre. Il devient ainsi le novateur g��nial de l'��cole de ‘’Plein air’’. Il se livre �� des recherches sur les couleurs, sur la lumi��re.
Quinze ans ans plus tard, copi�� par Fagerolles dont le tableau est applaudi par le public, il connaît le « tourment du pr��curseur qui s��me l'id��e sans r��colter la gloire ». Dou�� d’une lucidit�� pr��monitoire : « Je pr��f��re peindre et en mourir. » - « Oui, ce devait ��tre cela le d��traquement h��r��ditaire qui au lieu de faire un grand homme allait faire un fou. », il va de la folie au suicide.
Son ��chec est double :
�� la fois sur le plan artistique et dans sa vie priv��e. L’artiste
« ne savait pas finir », souffrait d’une « impuissance » chronique,
son perfectionnisme l'emp��chant de se satisfaire : il vise �� chaque
fois la perfection du chef-d'oeuvre jusqu'au moment o��, dans un acc��s
de col��re et de d��couragement, il se met �� lac��rer sa toile. Son
��chec se lit aussi dans la d��ch��ance mat��rielle, l'existence mis��rable
dans son atelier de la butte Montmartre, son impossibilit�� �� communiquer
y compris avec Christine et le suicide final : « Claude s'��tait pendu
�� la grande ��chelle, en face de son oeuvre manqu��e [...] la
Femme rayonnait avec son ��clat symbolique d'idole, la peinture triomphait,
seule immortelle et debout. »
Christine est « la
sensuelle pudique, si ardente �� l’amour, les l��vres gonfl��es de
cris, et si discr��te ensuite, si muette sur ces choses, ne voulant
pas en causer, d��tournant la t��te avec des sourires confus. Mais le
d��sir l’exaltait, c’��tait un outrage que cette abstinence. »
(page 346). Mais elle accepte de poser nue pour Claude qui est d��sesp��r��
de ne pouvoir terminer la femme de son tableau. C’est qu’elle l’aime
jusqu’�� se sacrifier. Mais, si elle garde longtemps une gentillesse
complaisante, une r��signation un peu falote, �� la fin, elle laisse
��clater son exasp��ration, se rebelle.
On peut consid��rer comme
un personnage le tableau, avec lequel l’artiste est uni comme avec
une femme (et qui rend jalouse Christine), qui le fait souffrir car
il voudrait atteindre la perfection, qui le domine jusqu'�� le pousser
au suicide.
Int��r��t philosophique
Le roman est une apologie du travail dont la vertu est affirm��e dans la derni��re parole du roman, prononc��e par Sandoz apr��s l'enterrement de Claude : «Allons travailler».
Le roman s’interroge sur la cr��ation artistique qui est vue comme une myst��rieuse alchimie entre la vie et l'imagination. Pour Zola est v��ritablement artiste celui qui renouvelle notre regard sur le monde. Il a avec son oeuvre des relations v��ritablement charnelles.
L’oeuvre d'art, couronn��e par le chef-d'oeuvre, symbolise une certaine victoire de l'��tre humain sur le temps et la mort. Si l'artiste est mortel, l'oeuvre est immortelle.
Mais est montr�� le danger du r��ve : il coupe de la r��alit�� ; il ne peut que conduire �� la d��sillusion, voire �� la mort, ceux qui s'y laissent aller, comme Claude Lantier, qui pr��f��re �� sa femme bien r��elle la figure du tableau qu’il peint.
Et ‘’L'œuvre’’,
roman de l'��chec, impose une vision pessimiste. Certes, Sandoz r��ussit,
mais il a sacrifi�� sa vie pour «accoucher son oeuvre avec les fers»
; Fagerolles obtient la c��l��brit��, mais il a trahi l'id��al de sa
jeunesse ; Dubuche a le courage et la lucidit�� d'avouer : «J’ai
rat�� ma vie» comme l’ont fait Mahoudeau, Chaine et, surtout
Claude.
Destin��e de l’oeuvre
“L'oeuvre” fut le quatorzi��me volume de la s��rie des “Rougon-Macquart”. Ce fut le roman de la maturit�� de Zola qui avait quarante-six ans, qui s'accorda un coup d'oeil r��trospectif sur sa carri��re et put se dire que l'« œuvre » ��tait faite, constitu��e par la succession de ses romans.
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Analyse du passage
allant de «”Maintenant, il faut autre chose…» �� «faire ��clater le Louvre !"»
(pages 45-47, chapitre
II)
Claude Lantier travaille �� son tableau, “Plein air”. Pour lui ��conomiser les frais d'un mod��le, son ami, Pierre Sandoz, accepte de poser pour lui. Pendant les longues heures de pose, les deux amis ��changent leurs espoirs, leurs projets artistiques, s'enflamment dans leur d��sir commun de r��volutionner l'art de leur temps :
«”Maintenant, il faut autre chose… Ah ! quoi ? je ne sais pas au juste ! Si je savais et si je pouvais, je serais tr��s fort. Oui, il n'y aurait plus que moi… Mais ce que je sens, c'est que le grand d��cor romantique de Delacroix craque et s'effondre ; et c'est encore que la peinture noire de Courbet empoisonne d��j�� le renferm��, le moisi de l'atelier o�� le soleil n'entre jamais… Comprends-tu, il faut peut-��tre le soleil, il faut le plein air, une peinture claire et jeune, les choses et les ��tres tels qu'ils se comportent dans la vraie lumi��re, enfin je ne puis pas dire, moi ! notre peinture �� nous, la peinture que nos yeux d'aujourd'hui doivent faire et regarder.”
Sa voix s'��teignit de nouveau, il b��gayait, n'arrivait pas �� formuler la sourde ��closion d'avenir qui montait en lui. Un grand silence tomba, pendant qu'il achevait d'��baucher le veston de velours, fr��missant.
Sandoz l'avait ��cout��, sans lâcher la pose. Et, le dos tourn��, comme s'il eût parl�� au mur, dans un r��ve, il dit alors �� son tour : "Non, non, on ne sait pas, il faudrait savoir… Moi, chaque fois qu'un professeur a voulu m'imposer une v��rit��, j'ai eu une r��volte de d��fiance, en songeant : "Il se trompe ou il me trompe." Leurs id��es m'exasp��rent, il me semble que la v��rit�� est plus large… Ah ! que ce serait beau, si l'on tâchait de mettre les choses, les b��tes, les hommes, l'arche immense ! Et pas dans l'ordre des manuels de philosophie, selon la hi��rarchie imb��cile dont notre orgueil se berce ; mais en pleine coul��e de la vie universelle, un monde o�� nous ne serions qu'un accident, o�� le chien qui passe, et jusqu'�� la pierre des chemins, nous compl��teraient, nous expliqueraient ; enfin, le grand tout, sans haut ni bas, ni sale ni propre, tel qu'il fonctionne… Bien sûr, c'est �� la science que doivent s'adresser les romanciers et les po��tes, elle est aujourd'hui l'unique source possible. Mais, voil�� ! que lui prendre comment marcher avec elle? Tout de suite je sens que je patauge… Ah ! si je savais, si je savais, quelle s��rie de bouquins je lancerais �� la t��te de la foule !"
Il se tut, lui aussi. L'hiver pr��c��dent, il avait publi�� son premier livre, une suite d'esquisses aimables, rapport��es de Plassans, parmi lesquelles quelques notes plus rudes indiquaient seules le r��volt��, le passionn�� de v��rit�� et de puissance.Et, depuis, il tâtonnait, il s'interrogeait dans le tourment des id��es confuses encore qui battaient son crâne. D'abord, ��pris de besognes g��antes, il avait eu le projet d'une gen��se de l'univers, en trois phases : la cr��ation, r��tablie d'apr��s la science ; l'histoire de l'humanit��, arrivant �� son heure jouer son rôle, dans la chaîne des ��tres ; l'avenir, les ��tres se succ��dant toujours, achevant de cr��er le monde par le travail sans fin de la vie. Mais il s'��tait refroidi devant les hypoth��ses trop hasard��es de cette troisi��me phase ; et il cherchait un cadre plus resserr��, plus humain, o�� il ferait tenir pourtant sa vaste ambition.
"Ah ! tout voir
et tout peindre ! reprit Claude, apr��s un long intervalle. Avec des
lieues de murailles �� couvrir, d��corer les gares, les halles, les
mairies, tout ce qu'on bâtira, quand les architectes ne seront plus
des cr��tins ! Et il ne faudra que des muscles et une t��te solides,
car ce ne sont pas les sujets qui manqueront....Hein? la vie telle qu'elle
passe dans les rues, la vie des pauvres et des riches, aux march��s,
aux courses, sur les boulevards, au fond des ruelles populeuses ; et
tous les m��tiers en branle ; et toutes les passions remises debout,
sous le plein jour ; et les paysans, et les b��tes, et les campagnes
!...On verra, on verra, si je suis pas une brute ! Oui ! toute la vie
moderne ! Des fresques hautes comme le Panth��on ! Une sacr��e suite
de toiles �� faire ��clater le Louvre !"»
On distingue trois voix dans le texte : celle du narrateur omniscient qui intervient surtout lorsqu'il r��sume le d��but de carri��re de Sandoz, qui joue le rôle du commentateur, de la voix off au cin��ma ou des didascalies au th��âtre : «il b��gayait, n'arrivait pas �� formuler… » - « un grand silence tomba...» ; celles des deux amis qui ne dialoguent pas vraiment (en t��moigne l'attitude de Pierre : «le dos tourn��, comme s'il eût parl�� �� un mur») mais font de longues tirades pour exprimer �� voix haute leurs «r��ves» (mot qui revient �� deux occasions) qui se rejoignent. Ils r��v��lent un m��lange d'enthousiasme (vocabulaire : «exaltation», «envol��e», «passion», «passionn��» ; points d’exclamation ; style anaphorique et lyrique), d’ambition (vocabulaire hyperbolique : «fresques g��antes», «vaste ambition», «tout voir, tout peindre») et d'incertitude (la difficult�� �� accoucher de l'avenir : «la sourde ��closion de l'avenir» ; les h��sitations : points de suspension, silence, b��gaiement, «il tâtonnait» - «id��es confuses encore» - «n'arrivait pas �� formuler» ; les interrogations : «quoi?» - «comment?» ; l’emploi des conditionnels : «il faudrait savoir» - «que ce serait beau...» - «si je savais, si je pouvais» ; la restriction : «peut-��tre»).
Pour cette r��volution artistique, peinture et litt��rature doivent marcher du m��me pas. Les deux cr��ateurs condamnent la tradition, les mod��les du pass��, le romantisme (Delacroix), le r��alisme de Courbet («la peinture noire»). Ils revendiquent la modernit�� («aujourd'hui, maintenant, toute la vie moderne, les gares, les halles, la science»), la cr��ation et non l'imitation («autre chose» - «faire ��clater le Louvre»). Ils annoncent de nouveaux courants : en peinture, l’impressionnisme («il faut le plein air, une peinture claire et jeune») ; en litt��rature, le naturalisme («le grand tout, sans haut ni bas, ni sale ni propre» ; «quelle s��rie de bouquins je lancerais !»
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Analyse du passage
allant de «Saisi, immobile de joie » �� «le fond de la mis��re humaine.»
(page 115, chapitre IV)
Malgr�� sa pudeur, Christine
accepte de poser nue pour Claude qui est d��sesp��r�� de ne pouvoir
terminer la femme de son tableau, “Plein air”. Il avait d��j��
peint la t��te de Christine la nuit de leur premi��re rencontre.
«Saisi, immobile de joie, lui la regarda se d��v��tir. Il la retrouvait. La vision rapide, tant de fois ��voqu��e, redevenait vivante. C'��tait cette enfance, gr��le encore, mais si souple, d'une jeunesse si fraîche ; et il s'��tonnait de nouveau ; o�� cachait-elle cette gorge ��panouie, qu'on ne soupçonnait point sous la robe? Il ne parla pas non plus, il se mit �� peindre dans le silence recueilli qui s'��tait fait. Durant trois longues heures, il se rua au travail, d'un effort si viril qu'il acheva d'un coup une ��bauche superbe du corps entier. Jamais le corps de la femme ne l'avait gris�� de la sorte, son coeur battait comme devant une nudit�� religieuse. Il ne s'approchait point, il restait surpris de la transfiguration du visage, dont les mâchoires un peu massives et sensuelles s'��taient noy��es sous l'apaisement tendre du front et des joues. Pendant trois heures, elle ne remua pas, elle ne souffla pas, faisant le don de sa pudeur, sans un frisson, sans une g��ne.Tous deux sentaient que, s'ils disaient une seule phrase, une grande honte leur viendrait. Seulement, de temps �� autre, elle ouvrait ses yeux clairs, les fixait sur un point vague de l'espace, restait ainsi un instant sans qu'il pût rien y lire de ses pens��es, puis les refermait, retombait dans son n��ant de beau marbre, avec le sourire myst��rieux et fig�� de la pose.
Claude, d'un geste,
dit qu'il avait fini ; et, redevenu gauche, il bouscula une chaise pour
tourner le dos plus vite ; tandis que, tr��s rouge, Christine quittait
le divan. En hâte, elle se rhabilla, dans un grelottement brusque,
prise d'un tel ��moi, qu'elle s'agrafait de travers, tirant ses manches,
remontant son col, pour ne plus laisser un seul coin de sa peau nue.
Et elle ��tait enfouie au fond de sa pelisse, que, lui, le nez toujours
contre le mur, ne se d��cidait pas
�� risquer un regard. Pourtant il revint vers elle, ils se contempl��rent,
h��sitants, ��trangl��s d'une ��motion qui les emp��cha encore de parler.
Était-ce donc de la tristesse, une tristesse infinie, inconsciente
et innomm��e? car leurs paupi��res se gonfl��rent de larmes, comme s'ils
venaient de gâter leur existence, de toucher le fond de la mis��re
humaine.»
Le premier paragraphe
est consacr�� au peintre et �� son mod��le, le second, �� l’amour
naissant. Les deux sc��nes sont muettes : aucune parole n’est ��chang��e
entre Christine et Claude.
I - Le peintre et son mod��le : Le contraste est frappant entre l'agitation cr��atrice de Claude et l'immobilit�� de Christine qui pose. Pour lui, on lit : il «se rua au travail» - «gris��» - «son coeur battait» - «joie». Pour elle, on lit : «elle ne remua pas, elle ne souffla pas» - «fixa un point vague de l'espace» - «n��ant de beau marbre» - «sourire myst��rieux et fig�� de la pose».
Cette sc��ne initiale est symbolique des relations futures entre Christine et Claude. Elle n'existe que dans le regard du peintre qui la consid��rera toujours comme un sujet �� peindre. Elle sera statufi��e. Mais l'art d��vore la vie. La situation est ambiguë : l’homme est habill��, la femme est nue. On en perçoit la sensualit�� : «se d��v��tir», «gorge ��panouie». Mais, malgr�� sa pudeur, Christine n’est pas troubl��e («sans un frisson, sans une g��ne» car Claude travaille dans «un silence recueilli» - elle a une «nudit�� religieuse». Ce vocabulaire montre que, pour Claude, l'art est une religion et qu’il ne voit dans ses mod��les que la repr��sentation de la Beaut��.
II - L’amour naissant : Les deux personnages passent du monde de l'art �� la vie r��elle. Ils redeviennent deux jeunes gens timides et pudiques. D’o�� le trouble, la g��ne, la maladresse ; chez Claude («gauche» - «bouscula une chaise») ; chez Christine («rouge» - «grelottant» - «��moi» - «s'agrafait de travers») ; tous les deux sont «h��sitants», «��trangl��s d'��motion». Ils se font l’aveu de leur amour : «ils se contempl��rent» - «��motion qui les emp��cha de parler» - «il la baisa au front». Le paradoxe de Claude, c’est que, pour les besoins de son art, il fr��quente des mod��les aux moeurs assez libres (Irma B��cot), mais que, dans la vie priv��e, il est tr��s chaste et timide avec les femmes. Mais cet amour naît sous le signe du malheur : ils ont de mauvais pressentiments («tristesse infinie inconsciente» - «comme s'ils venaient de gâter leur existence, de toucher le fond de la mis��re humaine») ; le narrateur omniscient anticipe sur les malheurs futurs du couple. Il faut rappeler que les deux jeunes gens s'��taient rencontr��s sous le signe de l'orage.
Plus tard (pages 239-244 ; pages 254-255), Christine vieillie pose �� nouveau pour Claude et subit ses commentaires acerbes sur sa beaut�� envol��e.
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Analyse du passage
allant de ”Nom de Dieu ! » �� « dans une contemplation navr��e.»
(pages 224-225, chapitre
VIII)
Le jour de son mariage,
Claude rend visite au sculpteur Mahoudeau au moment o�� il d��moule
la statue qu'il doit pr��senter au Salon. Celle-ci s'��croule au grand
d��sespoir de l'artiste.
«”Nom de Dieu ! ça se casse, elle se fout par terre !"
En d��gelant, la terre avait rompu le bois trop faible de l'armature. Il y eut un craquement, on entendit des os se fendre. Et lui, du m��me geste d'amour dont il s'enfi��vrait �� la caresser de loin, ouvrit les deux bras, au risque d'��tre tu�� sous elle. Une seconde, elle oscilla, puis s'abattit d'un coup, sur la face, coup��e aux chevilles, laissant ses pieds coll��s �� la planche.
Claude s'��tait ��lanc�� pour le retenir.
"Bougre ! Tu vas te faire ��craser !"
Mais tremblant de la voir s'achever sur le sol, Mahoudeau restait le mains tendues. Et elle sembla lui tomber au cou, il la reçut dans son ��treinte, serra les bras sur cette grande nudit�� vierge qui s'animait comme sous le premier ��veil de la chair. Il y entra, la gorge amoureuse s'aplatit contre son ��paule, les cuisses vinrent battre les siennes tandis que la t��te, d��tach��e, roulait par terre. La secousse fut si rude qu'il se trouva emport��, culbut�� jusqu'au mur ; et, sans lâcher ce tronçon de femme, il demeura ��tourdi, gisant pr��s d'elle.
"Ah ! bougre", r��p��tait furieusement Claude qui le croyait mort. P��niblement Mahoudeau s'agenouilla et il ��clata en gros sanglots. Dans sa chute, il s'��tait seulement meurtri le visage. Du sang coulait d'une de ses joues, se m��lant �� ses larmes.
"Chienne de mis��re, va ! Si ce n'est pas �� se ficher �� l'eau que de ne pouvoir seulement acheter deux tringles !... Et la voil�� ! la voil�� !..."
Ses sanglots redoublaient, une lamentation d'agonie, une douleur hurlante d'amant devant le cadavre mutil�� de ses tendresses. De ses mains ��gar��es, il en touchait les membres, ��pars autour de lui, la t��te, le torse, les bras qui s'��taient rompus ; mais surtout la gorge d��fonc��e, ce sein aplati, comme op��r�� d'un mal affreux, le suffoquait, le faisait revenir toujours l��, sondant la plaie, cherchant la fente par laquelle la vie s'en ��tait all��e ; et ses larmes sanglantes ruisselaient, tachaient de rouge les blessures.
"Aide-moi donc,b��gaya-t-il, on ne peut pas la laisser comme ça."
L'��motion avait gagn��
Claude et ses yeux se mouillaient eux aussi, dans sa fraternit�� d'artiste.
Il s'empressa mais le sculpteur, apr��s avoir r��clam�� son aide, voulait
��tre seul �� ramasser ces d��bris, comme s'il eût craint pour eux
la brutalit�� de tout autre. Lentement, il se traînait
�� genoux, prenait les morceaux un
�� un, les couchait, les rapprochait sur une planche. Bientôt la figure
fut de nouveau enti��re, pareille �� une de ces suicid��es d'amour qui
se sont fracass��es du haut d'un monument et qu'on recolle, comiques
et lamentables pour les porter �� la morgue. Lui, retomb�� sur le derri��re
devant elle, ne la quittait pas du
regard, s'oubliait dans une contemplation navr��e.»
Cette sc��ne, qui montre l'��croulement des r��ves de Mahoudeau, m��le le r��cit et le discours au style direct qui nous rend plus sensible le drame.
Elle fait voir les relations charnelles entre l'artiste et son oeuvre. Mahoudeau est litt��ralement « mari�� » avec la statue qui est personnifi��e et dont la chute est d��crite comme une agonie et une mort (vocabulaire de la morbidit�� : «os», «sein op��r�� comme d'un mal affreux», «plaie par laquelle la vie s'en ��tait all��e», «blessure», «cadavre», «suicid��e» ; vocabulaire amoureux : «geste d'amour», «il s'enfi��vrait �� la caresser», «��treinte», «��veil de la chair», «gorge amoureuse», «douleur hurlante d'amant», «tendresse»).
La sc��ne montre aussi le d��sespoir de l'artiste par les mots qui appartiennent au champ lexical de la douleur («sanglots», «larmes», «lamentation», «naus��e»), les jurons («nom de Dieu !»), le b��gaiement ; par l’attitude («tremblant», «les mains ��gar��es», «suffoquait», «��motion», «navr��»). Mahoudeau est path��tique dans sa tentative de reconstituer le puzzle de sa statue («ramasser ces d��bris», «prenait les morceaux un �� un», «les rapprochait sur une planche» pour un r��sultat «lamentable»). Son attitude �� terre traduit son abattement ; le choc n'est pas seulement physique («emport��», «culbut�� jusqu'au mur», «��tourdi», «gisant aupr��s d'elle») mais aussi psychologique. Ce sont tous ses r��ves qui s'effondrent. Son attitude �� genoux traduit le respect face �� son idole. Cet artiste amoureux de son oeuvre r��vait de lui donner la vie comme un nouveau Pygmalion.
La pr��sence de Claude lors de cette sc��ne symbolique annonce son ��chec ; l'art le tuera. Dans un passage ult��rieur (page 246), dans un geste d'��nervement, il cr��ve sa toile, puis, avec l'aide de Christine, essaie de la raccommoder.
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Analyse du passage
allant de «C'��tait une nuit d'hiver» �� «une cr��te de volcan»
(pages 339-340, chapitre
XI)
Claude, d��sesp��r��,
contemple Paris, la nuit. Son regard de peintre transfigure le monde :
«C'��tait une nuit
d'hiver au ciel brouill��, d'un noir de suie qu'une bise soufflant de
l'ouest, rendait tr��s froide. Paris allum�� s'��tait endormi, il n'y
avait plus l�� que la vie des becs de gaz,
des taches rondes qui scintillaient, qui se rapetissaient pour n'��tre,
au loin, qu'une poussi��re d'��toiles fxes. D'abord, les quais se d��roulaient,
avec leur double rang de perles lumineuses, dont la r��verb��ration
��clairait d'une lueur les façades des premiers plans,
�� gauche, les maisons du quai du Louvre,
�� droite, les deux ailes de l'Institut, masses confuses de bâtiments
et de bâtisses qui se perdaient ensuite en un redoublement d'ombre,
piqu�� des ��tincelles lointaines. Puis entre ces cordons fuyant
�� perte de vue, les ponts jetaient des barres de lumi��res, de plus
en plus minces, faites chacune d'une traîn��e de paillettes, par groupes
et commes suspendues. Et l��, dans la Seine
��clatait la splendeur nocturne de l'eau vivante des villes, chaque
bec de gaz refl��tait sa flamme, un noyau qui s'allongeait en une queue
de com��te. Les plus proches se confondaient, incendiaient le courant
de larges ��ventails de braise, r��guliers et sym��triques ; les plus
recul��s, sous les ponts, n'��taient que des petites touches
de feu immobiles. Mais les grandes queues embras��es vivaient, remuantes
�� mesure qu'elles s'��talaient, noir et or, d'un continuel frissonnement
d'��cailles o�� l'on sentait la coul��e infinie de l'eau. Toute la Seine
en ��tait allum��e comme d'une f��te int��rieure, d'une f��erie myst��rieuse
et profonde, faisant passer des valses derri��re les vitres rougeoyantes
du fleuve. En haut, au-dessus de cet incendie, au-dessus des quais
��toil��s, il y avait dans le ciel sans astres une rouge nu��e, l'exhalaison
chaude et phosphorescente qui, chaque nuit, met au sommeil de la ville
une cr��te de volcan.»
Zola ayant d��clar�� : «Je n'ai pas seulement soutenu les impressionnistes, je les ai traduits en litt��rature par les touches, notes, colorations de beaucoup de mes descriptions», on est amen��, d'une part, �� analyser cette page comme un tableau impressionniste ; d'autre part, �� d��gager les «impressions» de Claude.
Zola qui, comme Baudelaire ou plus tard Apollinaire, ��tait un amoureux de Paris, a fait de Claude un flâneur sans cesse ��merveill�� par la Seine et le paysage urbain, ici par les reflets des becs de gaz dans le fleuve.
La description des bords de la Seine, des quais du Louvre, des ponts, de l'Institut, par une nuit d'hiver, sous un ciel brouill��, une bise soufflant de l'ouest, est construite comme un tableau. On distingue le premier plan, la Seine qui est personnifi��e («l'eau vivante des villes»), les seconds plans et les arri��re-plans («les plus proches […] les plus recul��s»), d’autres rep��res («�� gauche», «�� droite», «en haut», «au-dessus»), la perspective et le point de fuite («ponts de plus en plus minces qui se rapetissaient» ; «monuments qui se perdaient»)
Le r��el est m��tamorphos�� par le regard de l'artiste. Claude contemple «la splendeur nocturne», les jeux de la lumi��re et de l'eau, les jeux de l'ombre et de la lumi��re, ce qui sont des th��mes ��minemment impressionnistes. Il utilise une palette de peintre o�� l’on trouve du noir («noir de suie», «redoublement d'ombres») et de l’or («allum��», «scintillaient», «perles lumineuses», «��clairait d'une lueur», «��tincelles», «braises de lumi��re», «flamme», «incendiaient de braises», «rougeoyant», «rouge nu��e»). La nuit met en valeur les lumi��res. Claude est sensible aux reflets («r��verb��ration», «refl��tait») de la lumi��re et �� sa d��composition («frissonnement d'��cailles») due au courant.
Le monde est recr���� par l'imagination : la m��taphore de l'incendie («��tincelle», «flamme», «incendiaient», «braise», «allum��e») va crescendo jusqu'au mot «volcan» - l’id��e de la «f��erie myst��rieuse et profonde» («traîn��e de paillettes», «perles lumineuses », «valses derri��re les vitres rougeoyantes du fleuve») : on a l'impression qu'une f��te myst��rieuse se d��roule au-del�� de la surface des choses.
Le contraste est remarquable entre le d��but du texte et la fin : Claude, de plus en plus solitaire, va ��tre visit�� par la tentation du suicide par noyade
On peut rapprocher cette description du tableau de Van Gogh “Nuit ��toil��e sur le Rhône”.
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Analyse du passage
allant de «Eh bien, non, je ne te foutrai pas la paix ! » �� « ah ! la vie, la vie....»
(pages 344-345, chapitre
XII)
Claude s'enfermant dans sa solitude et son ent��tement artistique, Christine, ��prouv��e par la mort de Jacques, la mis��re du m��nage, exc��d��e, explose et crie �� Claude une v��rit�� trop longtemps contenue :
«"Eh bien, non, je ne te foutrai pas la paix !… En voil�� assez, je te dirai ce qui m’��touffe, ce qui me tue, depuis que je te connais…Ah cette peinture, oui ! ta peinture, c’est elle l’assassin, qui a empoisonn�� ma vie. Je l’avais pressenti le premier jour, j’en avais eu peur comme d’un monstre, je la trouvais abominable, ex��crable ; et puis, on est lâche, je t’aimais trop pour ne pas l’aimer, j’ai fini par m’y faire �� cette criminelle… Mais, plus tard, que j’ai souffert, comme elle m’a tortur��e ! En dix ans, je ne me souviens pas d’avoir v��cu une journ��e sans larmes… Non, laisse-moi, je me soulage, il faut que je parle, puisque j’en ai trouv�� la force. Dix ann��es d’abandon, d’��crasement quotidien ; ne plus rien ��tre pour toi, se sentir de plus en plus jet�� �� l’��cart, en arriver �� un rôle de servante ; et l’autre, la voleuse, la voir s’installer entre toi et moi, et te prendre, et triompher, et m’insulter… Car ose donc dire qu’elle ne t’a pas envahi membre �� membre, le cerveau, le cœur, la chair, tout ! Elle te tient comme un vice, elle te mange. Enfin, elle est ta femme n’est-ce pas? Ce n’est plus moi, c’est elle qui couche avec toi… Ah ! maudite ! Ah ! gueuse ! "
Maintenant, Claude l’��coutait, dans l’��tonnement de ce grand cri de souffrance, mal r��veill�� de son r��ve exasp��r�� de cr��ateur, ne comprenant pas bien encore pourquoi elle lui parlait ainsi. Et, devant cet h��b��tement, ce frissonnement d’homme surpris et d��rang�� dans sa d��bauche, elle s’emporta davantage, elle monta sur l’��chelle, lui arracha la bougie du poing, la promena �� son tour devant le tableau.
"Mais regarde
donc ! mais dis-toi donc o�� tu en es ! C'est hideux, c'est lamentable
et grotesque, il faut que tu t'en aperçoives
�� la fin ! Hein? Est-ce laid, est-ce imb��cile ....tu vois bien que
tu es vaincu, pourquoi t'obstiner encore?
ça n'a pas de bon sens, voil�� ce qui me r��volte....Si tu ne peux
pas ��tre un grand peintre, la vie nous reste, ah ! la vie, la vie...."»
On peut donner au passage ce titre : La r��volte de la femme mod��le. Il a un double sens : d’une part, Christine n'a cess�� de poser pour les toiles de Claude ; d’autre part, elle a toujours ��t�� pour lui une ��pouse d��vou��e, soumise, ce qui accentue la violence de sa r��volte.
Dans cette sc��ne �� deux personnages, seule Christine parle ; Claude est surpris et stup��fait («h��b��tement», «reste muet») ; peut-��tre un geste est-il sugg��r�� par la r��plique de Christine : «non, laisse-moi».
La r��volte explose dans un «grand cri de souffrance». La violence de l'explosion s'explique par la dur��e de la contrainte : «En dix ans, je ne me souviens pas d’avoir v��cu une journ��e sans larmes […] Dix ann��es d'abandon, d'��crasement quotidien […] voil�� ce qui me r��volte […] il faut que je parle puisque j'en ai trouv�� la force». Christine ext��rorise les rancoeurs, les d��sillusions accumul��es, son statut de victime : «rôle de servante», «jet��e �� l'��cart», «je me soulage». Alors que tout le reste du roman nous avait habitu��s �� une gentillesse complaisante, �� une r��signation un peu falote, elle montre son exasp��ration, se rebelle : «En voil�� assez» - «Non» (en deux occasions). Elle, qui est habituellement si timide, si discr��te et mesur��e, lâche un torrent de mots dont certains sont vulgaires («je ne te foutrai pas la paix», «la gueuse», en contradiction avec la bonne ��ducation de cette fille de bonne famille), sur un ton humiliant, ironique («ta peinture»). Le rythme de ses phrases est hach�� et la ponctuation est expressive (les points d’exclamation et les points de suspension). Elle a m��me des gestes agressifs («lui arracha la bougie du poing»).
En fait, il n’y a pas que deux personnages, mais un infernal m��nage �� trois : pour Christine, la peinture est une rivale car Claude est mari�� �� son art. La peinture est personnifi��e («la voir s'installer entre toi et moi»). La rivale est d��sign��e par des termes m��chants, elle est consid��r��e comme diabolique : «assassine», «monstre», «criminelle», «voleuse», «maudite», «gueuse». Claude est domin�� par elle : dans bien des phrases la peinture est sujet, Claude objet : «elle t'a envahi», «elle te tient», «elle te mange».
Quant �� elle, elle est r��duite �� l'��tat de victime : «tortur��e», «m'��touffe», «me tue», «a empoisonn�� ma vie».
Jusqu'�� cette sc��ne, Christine, m��me si elle ne comprenait pas sa peinture, a toujours soutenu moralement son mari en d��pit des critiques et des ��checs. Son jugement d��finitif sur son art «abominable», «ex��crable», «lamentable», «grotesque», son verdict («tu es vaincu») va faire perdre �� Claude son dernier soutien en l'isolant encore davantage.
Mais Christine termine par un cri du coeur : «la vie nous reste ah ! la vie ! la vie !» Cet ultime appel path��thique est sa derni��re tentative d��sesp��r��e pour ramener Claude au r��el. À la recherche de l'absolu, de l'id��al, il a perdu tout contact avec le r��el et vit davantage avec ses fantasmes et ses idoles qu'avec sa femme.
Une page plus loin, il avoue : «Je mourrais de ne plus peindre, je pr��f��re peindre et en mourir. C'est ainsi, rien n'existe en dehors, que le monde cr��ve !» Apr��s une nuit d'amour o�� Christine croit avoir retrouv�� son mari, il se suicide devant la toile inachev��e. «Au-dessus d'elle, la Femme rayonnait avec son ��clat symbolique d'idole, la peinture triomphait, seule immortelle et debout, jusque dans sa d��mence.»
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Andr�� Durand
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